
Ce matin du 29 mai 2025, au lever, nous apprenons que plus de 50 personnes ont déjà été tuées à Gaza et le jour n’est pas terminé. À quel niveau d’horreur faudra-t-il arriver pour que nos gouvernements bougent pour empêcher la poursuite de ce carnage ?
La protection du peuple palestinien est devenue une urgence absolue. À Gaza, après quelques semaines de suspension, les massacres de masse ont repris, accompagnés d’un siège total, d’une famine généralisée et de déplacements forcés de populations.
C’est le constat dramatique que faisait « l’appel de Paris pour la protection du peuple de Palestine » le 25 mai 2025 : « plus de 53 000 Palestiniens ont été tués suite aux opérations militaires israéliennes. La bande de Gaza dévastée est devenue inhabitable et en ruines. »
Le jugement que l’Histoire portera sur notre silence
Au Québec, une pétition de plus de 800 personnes, endossée par de grands noms de notre histoire, exprime la même indignation et demande au premier ministre du Canada, Mark Carney, de « hausser le ton ». Ils disent : « Nous refusons d’être maintenus dans l’impuissance et la passivité. Nous refusons le jugement que l’Histoire portera sur notre silence1. »
Il n’y a pas que les gens qui meurent à Gaza : moins de 5 % des terres agricoles sont aujourd’hui utilisables, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, FAO. Comment appelle-t-on une telle destruction ?
Gaza, c’est grand comme l’île de Montréal. Imaginez si tous nos hôpitaux étaient bombardés à répétition, détruits ou gravement endommagés. Et si notre centre-ville et nos quartiers résidentiels étaient réduits en poussière.
Nous avons vu, pratiquement en direct, des enfants brûler vifs à Gaza. Ils tendaient les bras. On voyait leurs petits corps bouger, mais on n’entendait pas leurs cris dans l’école bombardée où ces enfants vivaient avec leurs parents. L’ambassadrice américaine (sous la présidence Biden) a raconté la scène, comme nous le faisons ici, mais ça n’a pas empêché la diplomate d’opposer son veto, ce jour-là, à une résolution de cessez-le-feu, au conseil de sécurité de l’ONU.
Après Gaza, la Cisjordanie
Le 26 mai, on a encore vu des enfants palestiniens brûler vifs, dans une école de Gaza : 36 morts. À Gaza, des enfants sont amputés d’un bras, d’une jambe ou les deux, sans anesthésie ! Parce que les réserves des hôpitaux sont bombardées ou épuisées. Les enfants dont on parle sont si petits qu’ils demandent parfois si leur bras ou leur jambe coupée va « repousser ». Et plusieurs sont orphelins, à cause de la guerre.
Après Gaza, la Cisjordanie aussi devient un champ de bataille : en 18 mois, on y a compté plus de 1 500 attaques de l’armée israélienne. Les colons ont fait plus de 900 morts et plus de 7 000 blessés palestiniens, sans compter ceux qui ont été déplacés, par milliers. Les colons s’accaparent des terres, brûlent des oliveraies et des maisons !
Le 26 mai 2025, 800 juristes britanniques, dont deux anciens juges de la Cour suprême du Royaume-Uni, ont même affirmé que l’action des autorités israéliennes dans les territoires occupés pouvait constituer un génocide, en écho aux conclusions de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 19672.
Non moins importante que la protection de la population d’Israël face à toute agression, la protection du peuple palestinien et de ses enfants est devenue une urgence absolue. C’est notre devoir ! À tous.
« Tout être humain dont la vie est en danger a droit au secours » (article deux de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec). On retrouve le même esprit dans le droit international humanitaire. C’est ce droit qu’il faut absolument préserver.
Notre combat contre l’apartheid
Dans son histoire, le Canada a su relever des défis similaires. Qui a regretté notre combat contre l’apartheid en Afrique du Sud ? Et notre campagne courageuse contre les mines antipersonnel, avec le soutien inoubliable de Lady Di ? En 1956, on a dit non à la guerre de Suez et l’on a inventé les casques bleus, ce qui a valu au Canada un prix Nobel de la paix. Le Canada a plus que milité pour la création de la Cour pénale internationale : il en a été un architecte essentiel. La « responsabilité de protéger » porte aussi notre signature.
Avons-nous appris des leçons de notre histoire ?
Le 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice de La Haye a confirmé que Gaza et la Cisjordanie sont des territoires « occupés ». La Cour a dit qu’Israël doit mettre fin à cette occupation de près de 60 ans et retirer ses colons de Cisjordanie. Pas dans dix ans ! Maintenant.
La Cour internationale dit aussi qu’Israël doit indemniser les Palestiniens pour les dommages découlant de cette colonisation. Plusieurs des juges dénoncent aussi l’existence d’un système d’apartheid en Cisjordanie, comme l’avait déjà observé Nelson Mandela, citoyen honoraire du Canada.
Le 17 septembre 2024, suivant l’avis de la Cour internationale, l’Assemblée générale de l’ONU a voté massivement « pour un démantèlement des colonies israéliennes avant le 18 septembre 2025 ». Le 18 septembre, c’est dans moins de quatre mois ! Le Canada s’est abstenu lors de ce vote. Nous lui demandons de reconsidérer sa position et de se ranger, comme la France, du côté de la grande majorité de l’Assemblée générale.
Le 29 mai 2025, Israël annonce la construction de 22 nouvelles colonies en Cisjordanie. Devant une telle provocation, le Canada peut-il continuer d’ignorer l’avis de la Cour et poursuivre comme si de rien n’était son commerce en libre-échange avec Israël, un libre-échange qui inclut les produits de Cisjordanie ?
On ne peut ignorer l’avis de la Cour internationale de justice
L’avis de la Cour internationale de justice est clair comme de l’eau de roche. La Cour dit le droit ! Le Canada ne peut ignorer cette décision. En partenariat avec un nombre croissant de pays européens — récemment l’Allemagne et la Norvège —, le Canada doit exiger le respect de la justice internationale, réclamer la paix, et annoncer une solide stratégie de pressions sur les autorités israéliennes, comprenant un régime de sanctions et la reconnaissance de l’État palestinien. Cette reconnaissance est présentée le 30 mai 2025 par le président Emmanuel Macron comme « pas simplement un devoir moral, mais une exigence politique3 ».
Le Canada accueillera les pays du G7 à Kananaskis le 15 juin. Du 17 au 20 juin, se tiendra à New York une session spéciale de l’Assemblée générale de l’ONU, présidée par la France et l’Arabie saoudite, pour relancer une solution pacifique au conflit israélo-palestinien. La semaine suivante aura lieu un sommet de l’OTAN à La Haye. Le Canada devrait profiter de ces tribunes pour exercer du leadership et défendre les droits d’un peuple en péril !
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Liste des signataires
- François Crépeau, professeur de droit international, université McGill, ancien rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme des migrants
- Aline Gobeil, ancienne journaliste à Radio-Canada
Avec le soutien de
- Hon. Lloyd Axworthy, président du Conseil mondial pour les réfugiés et les migrations
- Hon. René Dussault, ancien coprésident de la commission royale sur les peuples autochtones
- Peter Leuprecht, ancien doyen de la faculté de droit de l’université McGill, ancien directeur des droits de l’homme et secrétaire général adjoint du Conseil de l’Europe
- William A. Schabas, professeur de droit international, université du Middlesex, Londres, Royaume-Uni
- Mark Antaki, université McGill
- Rachad Antonius, professeur associé, université du Québec à Montréal (UQAM)
- Robert Armstrong, consultant en télécommunications
- Idil Atak, professeure, université métropolitaine de Toronto
- Suzanne Aubry, écrivaine
- Stéphane Beaulac, PhD (Cantab), professeur de droit international, université de Montréal
- Gilles Bibeau, professeur émérite, université de Montréal
- Megan Bradley, professeur et William Dawson Scholar, sciences politiques et développement international, université McGill
- Bonnie Campbell, professeure émérite, UQAM
- Christopher Campbell-Duruflé, professeur adjoint, faculté de droit, université métropolitaine de Toronto
- Sonia Cancian, psychanalyste, historienne, centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises, université McGill
- Janet Cleveland, chercheuse, institut universitaire Sherpa
- Ellen Corin, professeure émérite, université McGill
- Geneviève Dufour, professeure, université d’Ottawa
- Gilles Duruflé, consultant en finance internationale
- Samaa Elibyari, présidente du Conseil canadien des femmes musulmanes-Québec
- Evan Fox-Decent, professeur de droit et président de la chaire en droit et justice cosmopolite, université McGill
- Katsi’tsakwas Ellen Gabriel, artiste, documentariste, activiste autochtone en droits de la personne et en environnement, Kanehsatà:ke, Canada
- Alain-G. Gagnon, professeur titulaire, département de science politique, UQAM
- Ana Gómez-Carrillo, MD, psychiatre, hôpital pour enfants de Montréal, Centre médical de l’université McGill
- Gaëtane Gascon, retraitée d’Oxfam Canada
- Jill Hanley, professeure titulaire, école de travail social, université McGill
- Simon Harel, professeur titulaire, département de littératures et de langues du monde, université de Montréal
- Ghayda Hassan, UQAM
- Denise Helly, institut national de la recherche scientifique, Montréal
- Janique Johnson-Lafleur, institut universitaire Sherpa et université McGill
- Niky Kamran, université McGill
- Dr Laurence J. Kirmayer, professeur distingué James McGill, directeur, division de psychiatrie sociale et transculturelle, Université McGill
- Myrna Lashley, université McGill
- Isabelle Lasvergnas, psychanalyste
- Karine Mac Allister, PhD
- Abdelwahed Mekki-Berrada, professeur titulaire, université Laval
- Donna Mergler, professeure émérite, UQAM
- Lucie Nadeau, MD, professeure agrégée, divisions de psychiatrie sociale et culturelle et de pédopsychiatrie, université McGill
- Vrinda Narain, professeure associée, faculté de droit, université McGill
- Ndeye Dieynaba Ndiaye, professeure agrégée, département des sciences juridiques, UQAM
- Alex Neve, chercheur principal, école supérieure d’affaires publiques et internationales de l’université d’Ottawa, ancien secrétaire général d’Amnesty International Canada
- John Packer, centre d’études sur les droits humains et l’éducation, faculté de droit, université d’Ottawa
- Michel Peterson, psychanalyste, école lacanienne de Montréal, Corpo Freudiano, Alfapsy
- Johanne Poirier, professeure, faculté de droit, université McGill
- Maryse Potvin, professeure titulaire, UQAM
- Cécile Rousseau, professeure, Université McGill
- Claude Savoie, avocate
- Marina Sharpe, professeure associée, collège miliaire de Saint-Jean
- Oussama Sidhom, université McGill
- Louise Vandelac, professeure titulaire, sociologie, UQAM
- Marie-Joëlle Zahar, directrice du réseau de recherche sur les opérations de paix, université de Montréal
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